Dans les cartons depuis de longues années, le projet de sécurisation des digues des îles Piot et de la Barthelasse était bloqué. Le feu vert de la DREAL ouvre, en ce 1er trimestre 2019, la voie à la réalisation d’un aménagement consistant à « rehausser les ouvrages de protection existants pour permettre d’éviter les inondations causées par les crues fréquentes (Q10-Q20) et par débordement. »
Les inondations par crue du Rhône des 3 et 4 décembre 2003 ont marqué, pour les Avignonnais, la fin de la croyance dans l’invulnérabilité des ouvrages d’endiguement du fleuve. Un dur rappel d’une réalité historique que l’on pensait (dé)passée au point que l’habitude ancestrale de ne jamais habiter le rez-de-chaussée des maisons s’était perdue.
La ville d’Avignon a donc mené une « étude de programmation d’amélioration des aménagements de protection contre les crues des îles Piot et de la Barthelasse », (Hydratec, 2006).
Du fait de l’attribution, à compter du 1er janvier 2018, de la compétence GEMAPI aux intercommunalités, le projet se trouve aujourd’hui porté par la Communauté d’Agglomération du Grand Avignon.
Il vise à « assurer la protection des secteurs urbanisés des îles Piot et de la Barthelasse pour une crue décennale tout en maintenant l’inondabilité du secteur non urbanisé de l’île de la Barthelasse et en garantissant le maintien d’un cadre de vie naturel et la possibilité de découverte des îles par mode doux sur berge » (« Projet d’amélioration de la protection des îles Piot et de la Barthelasse contre les crues du Rhône »).
En 2013, FNE Vaucluse avait clairement pris position en faveur d’une entreprise imposée, légalement et humainement, par la protection de populations mal abritées derrière une digue classée vieillissante et présentant des brèches. Pour le milieu naturel, le prix d’une reprise des digues promettait d’être lourd, mais «une raison impérative d’intérêt public majeur » rendait ce coût nécessaire.
Cette nécessité n’exonérait cependant pas le porteur de projet de rechercher quel était l’ouvrage le moins impactant pour le milieu naturel.
A la lecture du « dossier de demande de dérogation au titre de l’article L. 411-2 du Code de l’Environnement » nous constatons aujourd’hui que ce projet « nuira au maintien de l’état de conservation favorable de plusieurs espèces dans leur aire de répartition naturelle », ce qui n’était pas évitable. Mais nous constatons aussi que le maître d’ouvrage n’a pas étudié toutes les solutions, notamment celle de la création de nouvelles digues en recul. La preuve qu’il « n’existe pas d’autre solution satisfaisante », condition nécessaire à l’autorisation de destruction d’espèces protégées, n’est pas apportée.
Cette preuve, FNE Vaucluse, qui regrette également que le projet ait fait l’économie de discussions qui auraient permis que, là où il était inévitable, l’impact du rehaussement de la digue reste limité, la considère comme essentielle. Elle correspond à la partie « réduire » de l’obligation, inscrite dans la loi « éviter, réduire, compenser »
Constat d’autant plus gênant que les « compensations » sont fonction de l’inventaire préalable du territoire.
Or, devant la destruction programmée d’un milieu grouillant de vie, qu’ils connaissent pour en faire un de leurs terrains d’exploration favoris, de nombreux naturalistes se sont spontanément proposés pour compléter bénévolement une étude n’indiquant que partiellement les impacts résiduels sur les individus protégés et leurs habitats. (Se contentant, par exemple, d’un « chiffrage » évoquant la perte de « quelques » nids d’oiseaux et de terriers de castors, alors que la suppression de 1 500 m linéaires de berges va détruire les insectes et amphibiens et les habitats nécessaires à leurs stades larvaires et d’émergence. Alors que près de 3 ha et demi vont manquer aux chiroptères, aux reptiles, à l’avifaune…)
FNE Vaucluse souhaite, pour sa part, insister sur la destruction des arbres constituant par endroits une véritable forêt rivulaire mature (arbres de deuxième peuplement et de plusieurs dizaines d’années).
Le comité français de l’UICN (Réseau des organismes et des experts de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature en France) vient de publier, dans sa « liste rouge des écosystèmes en France », une fiche « Les forêts méditerranéennes de France métropolitaine, 2018 ». L’on peut y lire, à propos des Aulnaies-frênaies riveraines méditerranéennes, que les experts s’accordent à souligner la probabilité élevée que ces écosystèmes aient historiquement très fortement régressé » (n°24 du bulletin de l’Observatoire régional de la biodiversité PACA)
Les conséquences de cette destruction d’une rare forêt rivulaire ne sont pas prises en compte. Elles ne sont pas non plus compensables !
Tel qu’il est retenu, le projet s’avère au final sidérant de désinvolture.
Pour les habitants, l’on relève (et c’est un comble !) une perte de la protection contre les crues par suppression de la ripisylve, une perte de la qualité du cadre de vie, de la qualité de l’air et de la régulation climatique apportées par l’existence d’une forêt rivulaire mature.
Pour la biodiversité : une forêt rare détruite et pour la faune, un « impact résiduel » important (des espèces protégées dont la destruction ne sera pas compensée) avec des mesures de compensation insuffisantes.
Si FNE Vaucluse ne peut se satisfaire des reprises proposées par le collectif local (le risque de rupture de la digue actuelle par érosion interne est réel), elle ne peut pas davantage adhérer à ces travaux, engagés hors examen exhaustif des possibilités et s’exonérant, au nom d’une protection partielle et à court terme de la population, d’une étude approfondie.