2 - Avis et Communiqués

Vers la fin des enquêtes publiques ?

Le gouvernement expérimente, dans les régions de Bretagne et des Hauts-de-France, un « droit à déroger aux dispositions relatives à l’enquête publique lors des procédures d’autorisations environnementales ».
En clair, les enquêtes publiques y seront supprimées au profit de consultations du public par voie électronique pour les projets soumis à la procédure de délivrance de l’autorisation environnementale ayant fait l’objet d’une concertation préalable

Exit les commissaires enquêteurs, leurs permanences, leurs synthèses des dossiers et leurs avis contraints, mais parfois assortis de recommandations ou de réserves. Bienvenue aux réponses dépersonnalisées et sans filets de la communication sur internet. L’enquête publique a un pied dans la tombe.

Faut-il la défendre ?
Avant de prendre ce décret d’expérimentation (2018-1217 du 24 décembre 2018, en application des articles 56 et 57 de la loi no 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance, dite loi ESSOC), le gouvernement a consulté les citoyens. Une concertation publique a été organisée, sur internet, ce qui lui donne valeur d’expérience grandeur nature. Résultat, 3 avis en faveur de la suppression de l’enquête publique, 2768 contre. Le décret a néanmoins été promulgué. Pas de quoi inspirer confiance dans le nouveau système.

L’E.P., un petit morceau de démocratie participative :

Depuis deux siècles, en France, chacun peut, grâce aux enquêtes publiques, donner son avis sur nombre de projets d’aménagement. Un procédé qui donne, à côté de la démocratie représentative, une petite place à la démocratie participative.

Très imparfaite, l’enquête publique aurait mérité d’être améliorée : les citoyens y participent peu, et souvent avec une suspicion mal dissimulée à l’égard du commissaire enquêteur chargé de collecter les opinions, de rédiger un rapport, d’émettre des conclusions et un avis …favorable dans 99% des cas et uniquement consultatif.
Il aurait fallu réfléchir aux raisons pour lesquelles le public boudait certaines enquêtes publiques, souvent par conviction que les jeux étaient faits et les projets ficelés avant l’enquête, parfois parceque les conditions de participation et d’accès à l’information pêchaient…
En lieu de quoi, il a paru plus simple de supprimer que d’améliorer

Année après année, à coups de décrets et au nom de la simplification administrative, le champ des projets industriels et des installations classées soumis à ces consultations citoyennes s’est rétréci.

En 2009, déjà, FNE avait ferraillé contre un texte de Patrick Devedjian visant à relever le seuil de déclenchement des enquêtes publiques.
En vain : un maximum de projets à risques et d’activités industrielles sont autorisées sans concertation et information du public (riverains, associations, élus, etc…) au détriment de la protection de l’environnement. Entre 2013 et 2017, le nombre d’enquêtes publiques est passé de 9098 à 5860
Sous couvert de simplification et de diminution des délais, c’est subrepticement, par petites touches, lors de la sortie de nouveaux projets de loi, que la participation du public aux décisions ayant une incidence environnementale est en train de muter pour se résumer à une simple consultation par voie électronique

A propos du rôle du commissaire enquêteur

« Le commissaire enquêteur est un animateur direct de la participation. En organisant des réunions publiques, auditions de personnes, suspension de procédure en cas d’évolution du dossier… et surtout en rédigeant des conclusions motivées avec un avis. », écrit FNE, qui ajoute : « Les commissaires enquêteurs hésitent de moins en moins à rendre des avis qui ne vont pas dans le sens du pétitionnaire, et l’avis des citoyens est transmis à la préfecture sous forme de synthèse, permettant de faire évoluer le projet le cas échéant. »

Il en ira différemment lors d’une consultation électronique « les contributions des citoyens sont envoyées par internet, sans qu’aucune synthèse ni avis ne soit rédigé. Les citoyens ne savent donc pas si leurs contributions sont prises en compte ou non.», souligne FNE, qui conclut « C’est un leurre de croire que la consultation électronique remplacera l’enquête publique. Outre la fracture numérique, qui est une limite évidente de cette forme de consultation, l’absence de commissaire enquêteur éloigne les populations qui ont du mal à s’exprimer sur certains sujets et qui ont besoin d’un accompagnement. La généralisation des procédures publiques uniquement par internet organise purement et simplement l’exclusion d’une fraction significative de la société qui n’a pas accès au débat public et à la défense de ses intérêts. C’est pourquoi le maintien de l’enquête publique (et même son élargissement à ne nouveaux projets et en incluant des formes de participation électronique) est primordial. »

Les citoyens ne veulent plus être uniquement des spectateurs critiques ou passifs des différentes étapes qui concourent à la réalisation d’un projet. Ils veulent devenir de véritables acteurs, à même d’améliorer les caractéristiques d’un projet qui touche à leur cadre de vie.
En ces temps où certains ont jugé nécessaire d’enfiler des gilets jaunes pour être vus de leurs gouvernants, réduire leur participation à une simple consultation dématérialisée ne peut constituer une réponse recevable.
En se « débarrassant » du commissaire enquêteur, tiers indépendant, assurant physiquement des permanences, décryptant les dossiers difficiles, l’Etat se prive d’une des solutions.