La mort que les boues rouges ont apportée avec elles en mer, dans la fosse de Cassidaigne, 7 km au large de Cassis, en plein cœur d’un site remarquable, devenu en 2012 parc national des Calanques.
La mort qui accompagne l’accumulation des déchets de fabrication à Mange-Garri, près de Gardanne. Selon une autorisation préfectorale du 16 novembre 2012, la Bauxaline peut y être déposée jusqu’en 2021. Depuis janvier dernier, un arrêté municipal interdit aux riverains de boire l’eau de leur puits, et même de l’utiliser pour l’arrosage ou pour remplir leur piscine
Ces boues et ces déchets, émanent de l’industrie de l’aluminium, telle qu’elle est gérée par ALTEO
A Gardanne, l’histoire commence en 1893. Bayer a mis au point un procédé qui consiste à dissoudre l’alumine contenue dans la bauxite avec de la soude, ce qui génère une grande quantité de résidus toxiques à forte coloration rouge.
L’usine appartient aujourd’hui à la société Alteo, premier producteur mondial d’«alumines de spécialité», qui exporte chaque jour plus de mille deux cents tonnes de produits finis, en particulier pour la confection d’écrans plats à cristaux liquides et de tablettes tactiles. Après les traitements chimiques, de nombreux déchets toxiques doivent être évacués : Arsenic, uranium 238, thorium 232, mercure, cadmium, titane, soude, plomb, chrome, vanadium, nickel. Ils sont, depuis 1966, rejetés en mer grâce à une canalisation d’une cinquantaine de kilomètres.
En cinquante ans près de trente millions de tonnes ont été répandues à deux cent cinquante mètres de profondeur. Se dispersant, elles empoisonnent la Méditerranée. Certaines espèces de poisson ont complètement disparu. La consommation des autres, chargés en métaux lourds, est toxique. A cela s’ajoute une exposition radiologique inquiétante : « La radioactivité naturelle de la Méditerranée est de 12 becquerels par litre ; celle des boues à la sortie du tuyau dépasse les 750 Bq/l. C’est un risque majeur pour la faune marine et pour la chaîne alimentaire. » témoigne, dans « Le Monde Diplomatique », Gérard Rivoire, océanographe à la retraite.
Les résidus solides, parfois pulvérulents, sont accumulés sur une commune voisine de Gardanne : un site non étanche, lessivé par l’eau de pluie qui charrie de l’arsenic, et dont la radioactivité se révèle trois à cinq fois plus élevée que la radioactivité naturelle ! Les riverains suffoquent quand le mistral se lève et sature l’air de poussières toxiques. Sur la vingtaine d’habitants vivant au plus près du dépôt de boue, huit souffrent de cancers, une de la maladie de Charcot et cinq ont des problèmes de thyroïde …mais tous ont eu droit à une ristourne sur leur facture d’eau !
Qui disait récemment que « le salaire d’aujourd’hui vaut plus que la santé de demain » ?
Nul besoin d’être devin pour imaginer ce qui s’est « négocié » dans les cabinets ministériels : Alteo représente près de quatre cents emplois directs et plus d’un millier en comptant la sous-traitance.
La silicose n’a cessé de tuer en France que lorsque les mines ont fermé parce que le charbon n’était plus rentable : doit-on souhaiter la même chose aux dérivés de la bauxite pour que comptent les vies humaines ?
Les ouvriers de l’usine ne sont pas très à l’aise « C’est très difficile de connaître la vérité. En tant qu’employés d’Alteo, on ne veut ni se mettre en danger ni devenir des pollueurs professionnels, c’est une évidence. Mais je pense que les salariés prennent le risque de ne pas connaître toute la vérité pour continuer à bosser. Ils n’ont pas envie qu’on dise qu’il faut fermer l’usine parce qu’il y aurait un danger pour notre santé. Parce que si on ferme l’usine, ça fait mille personnes au chômage, là, d’un seul coup !»
Pour en revenir à Alteo, à qui Corinne Lepage, en 1995, avait donné jusqu’au 31 décembre 2015 pour cesser ses rejets, l’entreprise ne craint pas de mettre en avant des études concluant à l’ »absence d’impact notable des résidus sur les animaux aquatiques ». Elle n’hésite pas à financer elle-même les dites études, attitude qui nous rappelle fortement un précédant scandale : celui qui permit à l’industrie de l’amiante de conclure à l’innocuité de ce produit grâce à des études et des comités scientifiques financées par ses soins !
Comme l’écrit joliment Le Monde diplomatique « Les batailles d’experts et l’identité de leurs commanditaires mettent en évidence la difficulté de faire valoir l’intérêt public en matière d’environnement et de santé. »
En attendant, des hommes vont mal, et meurent. Un environnement précieux meurt aussi.
La France s’assied sur la Convention pour la protection de la mer Méditerranée contre les pollutions, adoptée à Barcelone en 1976 et renforcée en 1995.
L’exploitant, HIG Capital, un fond de placement américain, plutôt que de cesser de polluer essaye de faire requalifier son « déchet » en « produit »
Les élus locaux, tétanisés par la menace de fermeture de l’usine, sacrifient l’avenir de leurs administrés et de leur territoire.
Les ministres qui soutiennent si fort l’entreprise ne se rappellent sans doute pas cette campagne qui couvrit la France d’affiches avertissant « l’alcool tue lentement ». Très vite, des petits rigolos avaient tagué « On s’en fout, on n’est pas pressé »
Pareil pour Alteo !
Pour en savoir beaucoup plus et pour comprendre : « La Méditerranée empoisonnée » in Le Monde diplomatique de mai 1915 sous la plume de Barbara Landrevie.
Et aussi l’article de Corinne Matias, rendant compte de la mobilisation du 31 janvier à Marseille contre les boues rouges dans La Provence .com