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Les gaz de schistes reviennent !

Crédit photo: Reuters

Total a gagné son recours contre l’abrogation du permis de Montélimar.

Total avait obtenu le 31 mars 2010, pour une durée de 5 ans, un permis, dit « de Montélimar », pour explorer les potentialités en gaz de schiste d’un territoire de 4 327 km² répartis sur les départements Ardèche, Drome, Gard, Hérault et Vaucluse.
Ce permis a été abrogé le 13-10-2011 par application de la loi de juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique.
Protestation de Total qui affirme qu’il mettra en œuvre une technique différente de la fracturation hydraulique, et que de ce fait, l’abrogation de son permis n’est pas justifiée.
Total dépose un recours auprès du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise contre l’abrogation de son permis

Le 8 janvier dernier, à l’audience du Tribunal administratif, le rapporteur de la république, dans son rapport, avait exposé que Total s’était conformé à la lettre de la loi du 13/07/11. (Notamment l’article 3) : Total a bien envoyé un document affirmant qu’il n’y aura pas de recours à la fracturation hydraulique. Il ajoute même que la loi n’a pas prévu d’évaluer la sincérité des bénéficiaires de permis ni d’évaluer la réalité des techniques alternatives. Mais si la loi n’envisage pas d’évaluer la sincérité, on ne peut pas utiliser cet argument pour abroger un permis.
La justice dit le droit : la conclusion logique vient de tomber en cette fin janvier : le Tribunal accepte le recours de Total contre l’abrogation.

Quelles actions mettre en œuvre, aujourd’hui ?

1) Se remobiliser et faire savoir notre opposition à l’exploration des gaz de schiste ici et ailleurs ; une première réunion des collectifs concernés à eu lieu le 16 janvier à Saint Montan (Ardèche) ; une manifestation massive est prévue le 28 février à Barjac. L’actualité de la mobilisation peut être suivie au jour le jour sur le site de gaz dz schistes en Provence : https://gazdeschistesprovence.wordpress.com/ à commencer par la réaction immédiate, ce 28 janvier, de Michèle Rivasi et José Bové à la décision du tribunal https://gazdeschistesprovence.wordpress.com/2016/01/28/labrogation-du-perh-de-montelimar-annulee-par-le-tribunal-administratif-de-cergy-pontoise/

2) Cette mobilisation « physique » ne suffit pas ; il nous faut obtenir une loi protectrice, qui ne se limite pas à la seule interdiction de la fracturation hydraulique. Pour mieux comprendre, nous reprenons ici le remarquable travail d’historique et d’analyse d’Isabelle Lévy, du collectif du pays Fertois (77) :

« 1. Juillet 2011: la loi interdisant la fracturation hydraulique est votée par le parlement.
Cette loi comporte 4 articles (pas un de plus).
L’article 1 interdit l’usage de la fracturation hydraulique,
L’article 2 prévoit ”une commission chargée d’évaluer les risques environnementaux liées aux techniques de fracturation hydraulique ou aux techniques alternatives”.
L’article 3 prévoit que les détenteurs de permis ont deux mois pour indiquer la méthode qu’ils mettront en œuvre dans le cadre du permis dont ils sont détenteurs.
Le troisième alinéa de cet article précise, pour ceux qui n’auraient pas compris le message, que si le recours à la fracturation hydraulique est prévu, le permis sera abrogé.
L’article 4 remet une couche sur les expérimentations.

2. Septembre 2011. Tous les détenteurs de permis déjà octroyés envoient un rapport au ministère. Tous, sauf un [Schuepbach], écrivent qu’ils ne feront pas usage de la fracturation hydraulique. Il suffit de lire l’article 2 et l’article 3 pour savoir comment conserver son permis même si pendant des mois chacun avait bien évidemment dit haut et fort que ce qui l’intéressait sur le territoire en question c’était soit le gaz soit le pétrole de schiste.

3. Octobre 2011. Sarkozy prévoit un voyage dans le Gard. NKM abroge TROIS permis.
Les deux permis détenus par Schuepbach: normal.
Dans son rapport il revendiquait l’utilisation de la Fracturation Hydraulique.
Et le permis de Montélimar détenu par Total. Total s’insurge et décide de demander l’annulation de l’abrogation.
En effet, Total a fait comme les autres. Il a envoyé un rapport au ministère, rapport qui dit que “c’est oublié, la fracturation hydraulique, pas question, on va chercher du conventionnel”.

Mais ce n’est pas différent de ce qu’a écrit Toreador pour tous les permis du bassin parisien.
Il ne faut pas oublier qu’avant le vote de la loi il y a eu d’abord un moratoire, un truc pour « calmer le jeu ». NKM réunit les pétroliers qui ont prévu à très court terme d’effectuer des fracturations hydrauliques et leur demande d’attendre un peu avant de s’y remettre. C’est comme ça que les travaux du permis de Château-Thierry avaient été mis en sommeil en février 2011. Aucune ambigüité sur ce permis, les détenteurs du permis ne sont intéressés que par le pétrole de schiste. Et alors, le rapport de Toreador, comme celui de Total dit « non, non, non, c’est promis on n’utilisera pas la fracturation hydraulique ». L’article 3 de la loi Jacob est respecté. « Très bien monsieur Toreador, vous pouvez garder vos permis ». On comprend pourquoi Total n’était pas content. Mais tout le monde n’a pas eu la chance d’avoir une visite présidentielle qui avait besoin d’un petit coup d’éclat médiatique.

4. On passe sur les épisodes QPC-Schuepbach qui n’apportent pas d’éclaircissement à l’affaire qui nous concerne.

5. Un rapport est publié cet été par la Documentation Française.
Son titre: « Délais d’instruction des demandes de permis exclusifs de recherche et de concessions d’hydrocarbures »
Ses auteurs: Rémi STEINER (ingénieur général des mines), Pascal CLÉMENT (idem) et Philippe GUIGNARD (ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forets).
Pas des rigolos, pas des militants. Juste des hauts fonctionnaires qui essaient de trouver une solution à l’impasse concernant les dizaines de permis de recherche gelés dans les tiroirs du ministère depuis 2011.
Dans ce rapport on peut y lire des choses passionnantes !
Ainsi, page 8 on peut lire:
La loi du 13 juillet 2011 a interdit la technique de la fracturation hydraulique sans explicitement interdire l’exploitation d’hydrocarbures de roche-mère. Dans le silence de la loi, l’administration n’a pas rejeté les demandes de permis de recherche d’hydrocarbures de roche-mère : ces demandes, corrigées mais jamais refusées ni acceptées, constituent encore, quatre ans plus tard, au moins le quart des demandes de permis en attente de décision.”
Page 19 on peut lire: “La procédure de l’article 3 de la loi du 13 juillet 2011 n’a conduit en définitive qu’à l’abrogation de trois permis, le 12 octobre 2011 : les permis de Nant et de Villeneuve de Berg, ainsi que le permis de Montélimar. Dans les trois cas, des jugements de première instance devraient être prochainement rendus sur les demandes déposées par les opérateurs d’annulation de ces décisions d’abrogation, ainsi que sur leurs demandes d’indemnisation.
Dans le cas particulier du permis Montélimar, l’opérateur avait déclaré exclure les forages suivis de fracturation hydraulique, mais n’avait pas explicité les techniques alternatives à la fracturation hydraulique qu’il comptait mettre en œuvre pour explorer le potentiel de la zone en gaz de schiste. L’administration a dans ces conditions procédé à l’abrogation du permis. La décision prochaine du tribunal administratif sur cette affaire constituera le premier test du raisonnement juridique consistant à considérer que la loi anti-fracturation hydraulique revient, de fait et conformément à la lettre de la proposition de loi initiale, à interdire l’exploration des hydrocarbures de roche-mère.”

6. 8 décembre 2015, T.A. de Cergy-Pontoise: audience du recours de Schuepbach.
Dans mon CR de l’audience du 8/12/15 j’avais noté: « Le rapporteur public a préconisé le rejet de la demande du pétrolier : l’État ayant interdit la fracturation hydraulique en 2011, il avait obligation d’abroger les titres, dès lors que Schuepbach n’entendait pas y renoncer. Le magistrat a en outre relevé que la technique de la fracturation hydraulique était dommageable pour l’environnement ». C’est donc bien parce que Schuepbach n’a pas OFFICIELLEMENT renoncé à la fracturation hydraulique que le rapporteur public recommande de ne pas annuler l’abrogation. Sa recommandation est suivie par le président du tribunal le 22/1215. Les permis de Nant et de Villeneuve-de-Berg sont donc définitivement abrogés.

7. 8 janvier 2016, T.A. de Cergy-Pontoise: audience du recours de Total.
Même rapporteur public, même président que pour l’audience de décembre. Le rapporteur public suit le même raisonnement. Il suit à la lettre le texte de la loi du 13/07/11. L’article 3 et son fameux rapport. Il dit que Total a envoyé son rapport dans les temps, il dit que dans le rapport de Total on peut lire qu’il n’y aura pas de recours à la fracturation hydraulique, il dit donc que l’abrogation doit être annulée. Il ajoute aussi que l’article 3 de la loi n’a pas prévu d’évaluer la sincérité des bénéficiaires de permis ni d’évaluer la réalité des techniques alternatives. Donc si la loi n’envisage pas d’évaluer la sincérité, on ne peut pas utiliser cet argument pour abroger un permis.

Non, tout est absolument conforme à la logique.
Il est donc faux d’écrire (article de TV5) que le tribunal a rejeté « une requête similaire » de la Société Schuepbach, tout comme il est erroné d’évoquer « un moratoire » pour parler de la loi Jacob.

Alors que peut-on tirer de cette histoire?

a. Dire, répéter une fois de plus que la loi n’interdit QUE la fracturation hydraulique, ni plus ni moins.

b. Dire, répéter que cette loi encourage le mensonge. Il suffit de dire qu’on ne fera pas de fracturation pour garder un permis dont l’objectif était et reste « schisteux ».

c. S’insurger sur la restitution du permis de Montélimar à Total, pourquoi pas. Mais dans ce cas, rappelons, sans aucune défection, la totalité des permis qui n’ont pas été abrogés alors que les objectifs étaient tout aussi « schisteux » au moment de l’octroi des permis.

d. Cesser de dire que la loi nous protège. Non, ce qui nous a protégés dans un premier temps c’est la mobilisation. Aujourd’hui, c’est la baisse du prix du baril qui rend toute exploration des hydrocarbures de roche-mère aberrante économiquement. Combien de temps cette « protection économique » va-t-elle durer?

e… et bien plus encore ! »

3) Nous souscrivons pleinement et à l’analyse, et au chemin que nous trace Isabelle ;

4) Il y a quelques semaines, nous nous demandions ce qui allait se passer pour Total :
– est-ce que Total va se voir ré attribuer son permis pour la période restante au moment de l’abrogation (soit 4 ans et 4 mois) ?
– est-ce que Total aura simplement la possibilité de demander une prolongation de son permis arrivé à échéance en mars 2015 ?
– est-ce que Total aura simplement droit à une indemnisation pour cette abrogation ?

5) Ce 28 janvier, nous apprenons que le PDG de Total a déclaré qu’il n’entamerait pas une épreuve de force contre les élus, si l’opposition était trop grande
C’est fort beau, mais nous ne pouvons dépendre du bon vouloir d’un président donné, à un moment donné. Cette décision peut être plus en lien avec le faible coût du pétrole, qui rend économiquement aberrante l’extraction de gaz de schiste, qu’avec la préoccupation d’entendre les habitants concernés !
Nous savons aussi que Ségolène Royal a annoncé à l’Assemblée Nationale qu’aucun permis d’extraction ne serait accordé ou reconduit, et devons la soutenir dans cette position.
Nous demandons à l’Etat de modifier la loi de juillet 2011, de façon qu’elle soit réellement protectrice pour l’environnement. Pour commencer, faire appel de la décision du tribunal pourrait contribuer à lever certaines des ambiguïtés de la loi actuelle.